La Taxonomie du discus
par Marc Weiss et A.I Mazeroll,
extrait de "The Cichlid Companion Room", traduit par Jacques
Dans un article publié
en 1991 dans "Tropical Fish Hobbyist", le Dr Warren Burgess posait deux
questions sur la taxonomie et la systématique du Discus.
-
La collecte de Symphysodon Discus Heckel en dehors
du Rio Negro mettait-elle en évidence une répartition historique
plus large de cette espèce?
-
Symphysodon Discus Willischwartzi pouvait-il n’être
qu'un hybride naturel des deux espèces S.Discus et S.Aequafasciata
Pellegrin?
Nous possédons des
Discus sauvages qui ont le patron de coloration du Discus bleu ou brun
(red) S.Aequifasciata mais également la cinquième barre verticale
accentuée caractérisant le Discus dit "Heckel". Que dire
alors de la taxonomie du Discus? Que ce sont des hybrides naturels des
deux espèces ou représentent-ils une nouvelle espèce
ou « sous-espèce"?
Dans cet article, nous
voulons creuser ces questions et décrire les méthodes à
mettre en œuvre pour y répondre.
Quel est l'état
actuel de la classification des Discus?
Deux espèces
de Symphysodon sont décrites avec une taxonomie presque exclusivement
fondée sur le patron de coloration et la répartition géographique!!!
-
S.Discus a 9 barres verticales sur le corps avec
les 1°,5° et 9° prédominantes, la cinquième étant
la plus large. Les autres barres sont atténuées et par moment
complètement absentes. Cette espèce est localisée
principalement dans le bassin du Rio Negro.
-
S.Aequafasciata, lui ,est rencontré principalement
dans la partie ouest du bassin de l'Amazone. Les caractéristiques
méristiques (nombre d'écailles, nombre de rayons des nageoires,
nombre de vertèbres) tendent à se confondre, quelques écarts
sont relevés que nous examinerons plus loin.
Avec seulement deux espèces,
la taxonomie paraît simple et limpide!!! Hélas rien n'est
plus éloigné de la vérité!!! La première
raison en est que la répartition complète et exacte ainsi
que la description des sous-espèces nous sont inconnues. Dans certains
cas les quelques localisations publiées sont erronées…Si
vous avez déniché un beau Discus sauvage n'étes vous
pas curieux de savoir exactement d'ou il provient? Malheureusement aujourd'hui
il est difficile d’être précis à ce sujet. Rien ne
ressemble plus à un affluent de l'Amazone …qu'un autre affluent.
Pointer exactement sur la carte où se trouve telle ou telle variété
relève de l'impossible. C'est une des pièces du puzzle à
assembler pour éclairer la taxonomie du Discus, et les informations
sont difficiles à collecter, cela prend du temps, beaucoup de temps.
Mais après tout qu'est
-ce qu'une espèce?.
C'est une question qui
préoccupe les chercheurs depuis Linné. Autant de personnes
interrogées …autant de réponses".
La science a envisagé
cinq concepts d'espèces…
Le concept typologique
d'espèce qui pose comme principe que l'espèce est une entité
qui diffère de toutes les autres…et que l'espèce considérée
est stable dans le temps. Dès la description d'une espèce
la confusion peut s'installer. Que dire de 2 variétés colorées
d'une même espèce? Que l'on va nommer différemment
ces deux formes de la même espèce?
Peu satisfaisant!!
Le concept d'espèce
morphologique affine et quantifie le facteur différence en caractérisant
l'espèce par des grandeurs mesurées (nombre d'écailles,
nombre de vertèbres…) qui diffèrent nettement des autres
…oui, mais de quel facteur affecter les écarts pour décider
que deux individus sont d'espèces différentes? Combien de
paramètres faire intervenir dans la décision…de manière
pragmatique plus l'on constate de différences plus les arguments
sont nombreux pour décider de deux espèces distinctes…Que
dire de deux paramètres divergents, cas des Discus? Est ce suffisant
pour décrire deux espèces distinctes?
Pendant longtemps le
concept standard d'espèce fut le concept biologique qui exprime
le principe qu'une espèce est un groupe interfécond de populations
qui se reproduisent isolément. Cela s'applique correctement aux
espèces à reproduction sexuée mais que dire des groupes
se multipliant par parthénogenèse? Comment les intégrer
dans ce modèle d'espèce…Chaque individu pourrait être
considéré comme une espèce!!!
Autre question quel
seuil de fertilité retenir entre hybrides?…Des espèces proches
peuvent être interfécondes et produire des hybrides à
fertilité réduite. A quelle fertilité s’arrêter
pour inclure ou exclure d'une espèce?
Cette conception rigide
doit évoluer et décrire une espèce comme un lignage
dont les produits évoluent avec leurs caractères d'unicité
et de variations.
Le concept d'espèce
qui émerge aujourd'hui est une conception pratique, de la pratique
du scientifique, qui lui permet de caractériser et d'apprendre à
tous à caractériser une espèce. Il s'agit de retenir
des critères basiques sans entrer dans les détails comme
les comportements sociaux ou de reproduction par exemple. Pour les organismes
à reproduction sexuée un des critères de base pour
déterminer si deux espèces sont distinctes est de déterminer
si oui ou non en existent des hybrides naturels. Si oui, sont-ils aussi
fertiles que les parents? On sait depuis que les Discus fréquentent
nos bacs que les deux espèces produisent des hybrides fertiles!!!
Alors je repose la question S.Willischwartzi est-il un hybride naturel?
Si S.Discus X S.Discus
ont en moyenne 150 jeunes viables et si S.Aequa X S.Aequa ont eux en moyenne
200 jeunes viables, que peut-on conclure de S.Discus X S.Aequa qui en moyenne
en ont 140.? Cette perte de fécondité est-elle significative
pour justifier le statu-quo sur la taxonomie du Discus?
Si comme on le dit ces
deux espèces sont géographiquement séparées
pour quelle raison ne sont elles pas étrangères sur le plan
de la reproduction, alors qu'il n'y a aucune probabilité de croisement?
Traditionnellement les deux espèces sont décrites géographiquement
séparées dans leur distribution, S.Discus a été
découvert et décrit dans les affluents duRio Negro, pendant
que S.Aequafasciata était trouvé dans la partie ouest du
bassin de l'Amazone, mais de récentes collectes mettent cette répartition
en doute. Les premières observations de Discus dans leur habitat
n'ont pas apporté la preuve qu'il existait plus d'une espèce
de Symphysodon. Ces poissons vivent en groupes familiaux et ne semblent
pas s'éloigner de leur territoire originel…une courte distance d'eau
libre au-delà d'un premier groupe et on trouvera un groupe
d'apparence différente….différente au point qu'on les dénommera
autrement….on a fait les mêmes observations sur d'autres cichlidés,
Mesonauta Festivus et Heros Severus.
Ces différences
apparaissent d'autant plus rapidement que les caractères se fixent
plus vite dans une petite population de reproducteurs. Ce principe de fusion
est connu des biologistes. Ainsi deux groupes pratiquement identiques a
l'origine peuvent une fois séparés diverger nettement après
quelques générations…Mais que dire des individus intermédiaires,
semblant hybrides? Ce n'est pas rare, un peu de temps et d'observation
attentive le prouvent, ils sont présents isolés ou au sein
de groupes distincts, le contraire de ce que la littérature décrit!!!
Les confusions et sources
d'erreurs sont multiples pour les aquariophiles et les chercheurs du fait
que les pêcheurs et les exportateurs de Discus les classent et les
baptisent à leur guise lorsqu'ils sont collectés ce qui permet
avant tout de protéger les lieux de récolte. Nombreux sont
les scientifiques et journalistes aquariophiles qui de bonne foi ont été
abusés par ces fausses informations de collecte. Par exemple le
S Aequafasciata Haraldi sur lequel Schultz base sa description n'est pas
typique de la localisation qu'il rapporte. De même pour la variété
de Discus dite "Allenquer" réputée récoltée
a proximité de la ville d'Allenquer mais que l'on pèche également
à une grande distance de là dans le rio Purus… Des Discus
Heckel sans la barre médiane ne sont pas difficiles à trouver,
pas plus que des "bleus", "rouges", "bruns" avec la barre médiane
prononcée qui sont communs dans certaines régions. Les hybrides
sont nombreux dans certains affluents, peu abondants dans d'autres. Quand
ils sont capturés, ils sont pour certains vendus comme "Heckell",
d'autres comme "Bleus", "Royal Bleus" et d'autres comme de "parfaits Bruns":
quatre variétés différentes pour un seul bras de rivière!!!
Des tentatives ont été faites de classifier les Discus sauvages
comme on le fait pour les formes d'élevage, mais quelques jours
passés en Amazonie vous montrent que toutes les prétendues
variétés géographiques de "Heckell" peuvent être
trouvées sous une seule branche!!! Têtes bleues, nageoires
jaunes, avec ou sans barre centrale, tous dans le même coup de filet!
Il est évident que l'idée de déterminer des sous-espèces
sur la base des patrons de coloration relève plus de la fantaisie
que de la science. Des variations géographiques doivent exister
néanmoins, mais c'est plus facile de le dire que d'en apporter les
preuves.
Par l'élevage
en captivité on peut améliorer et sélectionner des
individus que sans doute les piranhas ou même les parents élimineraient
dans la nature. Certains parfois en réchappent et finissent dans
nos épuisettes ce qui permet d'observer en captivité des
"green discus" et "blue discus".
Alors y a-t-il une ou
deux espèces de Discus?
Comment établir
que deux de nos Discus sont oui ou non de la même espèce?
Si nos deux poissons
sont dans le formol, nous n'utiliserons pas la méthode de la reproduction
pour parvenir au résultat!!!
Comment procéder?
Il existe plusieurs
techniques en taxonomie moderne. Certaines de ces techniques ont évolué
progressivement depuis leur origine, d'autres sont très récentes.
Le premier champ de
comparaison est méristique, c'est le comptage de tout ce que l'on
peut… compter: nombre de rangs d'écailles, nombre de vertèbres,
nombre de pores de la ligne latérale, etc. Les données méristiques,
(relatives au corps) ont traditionnellement eu la faveur des taxonomistes
des poissons car elles tendent à rester les plus fiables. C'est
données se modifient très peu dans le temps. Avec les Discus
les comparaisons méristiques ne donnent pas de résultats
nettement tranchés. La description originelle de S.Discus par Heckell
reposait sur l'examen d'un seul spécimen. Quand Schultz réétudie
le Genre en 1960, il n'utilise également qu'un seul individu de
S.Discus alors qu'il fera le même travail sur 50 spécimens
de S.Aequifasciata. Sur les dix critères méristiques retenus
par Schultz un seul fait ressortir une différence: le nombre de
rangs d'écailles compté entre l'opercule et la base de la
nageoire caudale. Si de nombreux spécimen de S.Discus avaient été
utilisés, n'aurait-il pas relevé des variations sur ce nombre
de rangs d'écailles et ces variations n'auraient-elle pas recoupé
les variations constatées sur S.Aequifasciata? C'est un point fondamental,
toutes les espèces présentent des variations. Consultez n'importe
quelle description d'espèces vous constaterez que les auteurs, par
exemple, mentionnent que le nombre de rayons de la nageoire dorsale est
compris entre 9 et 14, exprimant que pour les membres de cette espèce
on peut trouver 9 et jusqu'à 14 rayons à la nageoire dorsale.
Ce qui atteste que tous les membres de l'espèce ne présentent
pas les mêmes données méristiques mais sont inclus
dans une fourchette de variation…qui ne peut être établie
si l'on n'étudie qu'un seul individu.
La seconde technique
taxonomique est la mesure des caractéristiques morphologiques. Ce
sont les mesures relevées sur les spécimens, longueur du
corps, longueur du museau…Parce que les poissons ont une croissance continue,
les grandeurs sont données en pourcentage de valeurs moyennes standard.
De nombreuses difficultés sont rencontrées avec cette technique.
D'abord dans beaucoup d’espèces la forme, les mensurations du corps
(donc le rapport au standard) changent avec l'âge, aussi est-il préférable
d'étudier des spécimens de taille comparable. Une autre difficulté
est que beaucoup d’espèces sont sexuellement dimorphiques: il y
a des différences corporelles qui font que des comparaisons entre
individus de sexe différent peuvent être sources d'erreurs.
Une troisième difficulté avec les Discus est que les individus
issus d'habitats différents, eaux courantes, eaux dormantes,
peuvent montrer des formes variables. Hanel en 1981 a étudié
avec cette méthode morphométrique les espèces et sous-espèces
de Discus. Il a trouvé des identités et des similitudes sur
tous les critères morphologiques mesurés. Les photographies
publiées des poissons objets de l'étude montrent des individus
au front pincé et aux yeux agrandis typiques de poissons faibles
et malades. Apparemment les Discus utilisés etaient des sauvages
en captivité depuis de longs mois qui avaient probablement perdu
leur forme suite à un régime inadapté.
La troisième
technique taxonomique est un mélange de données anatomiques,
forme, description de la ligne latérale, position et taille des
organes internes, caractéristiques sexuelles secondaires comme la
sécrétion de mucus nourricier. Ces particularités
peuvent caractériser une espèce, mais de nombreuses espèces
proches présentent les mêmes particularités. De plus
ces données sont délicates à quantifier car on trouve
déjà beaucoup de variantes en examinant des individus réputés
de même espèce!!
Un autre type de caractéristique
parfois utilisé pour distinguer les espèces est le patron
de coloration. C'est sans doute la caractéristique la plus variable
de toutes pour beaucoup d'espèces. Nous le savons tous, il y a beaucoup
de variations colorées chez les Discus sauvages les deux espèces
reconnues ont leur propre patron standard. Mais nous possédons des
spécimens sauvages de S.Discus qui ont des rayures sur la moitié
avant du corps et la moitié arrière sans (au-delà
de la 5° barre verticale), ressemblant à un Discus Brun. Comment
les classeriez-vous, S.Discus ou S.Aequifasciata? Que signifient ces variations
subtiles entre individus? Comme noté plus haut nous avons aussi
des S.Aequifasciata sauvages au corps rayé et la 5° barre verticale
prononcée comme S.Discus. Comment les classer? Sont-ils des hybrides
sauvages des deux espèces ou de nouvelles espèces?
Dans un laboratoire
de recherche de l'auteur (A.I.Mazeroll) nous travaillons sur la taxonomie
des deux espèces. Nous utilisons deux techniques modernes: étude
du karyotype et electrophorèse ). Ces techniques nécessitent
des tissus et cellules des deux espèces et un labeur intensif, cela
prend du temps. Dans 6 mois à un an nous devrions être en
mesure de conclure. Des travaux sur le terrain sont autant nécessaires
que des travaux de laboratoire, peut-être aussi des expérimentations
de croisements…Egalement il faudra connaître les influences environnementales.
Ces études progressent. Nous croyons que la classification communément
adoptée pour Symphysodon est erronée. Nous voulons apporter
les preuves que nous ne nous trompons pas. Le temps le dira. Nous vous
tiendrons informés.
Quel enseignement en
conclusion pour les amateurs et éleveurs de Discus? Eh bien le poisson
que vous maintenez dans vos bacs est peut-être porteur de gènes
capables de produire une infinité de variétés de Discus…Cela
prend du temps pour arriver à les faire s'exprimer.
Tableau des données méristiques
|
S.discus
|
S.aquafaciatus
|
Rayons de nageoires
Dorsale(epineux)
Dorsale(mous)
Anale(epineux)
Anale(mous) |
9
31
7
29
|
8-10
31-34
7-9
26-32
|
Pectorale
Simple sup
Ramifiée
Simple inf |
2
7
4
|
2
7-9
3-4
|
Pores Ligne Latérale
Antérieure
Caudale
Total |
19
12
31
|
18-23
10-14
28-36
|
Rangèes d'Ecailles |
44
|
50-61
|
Nbre Vertèbres
Abdominales
Caudales
Total |
13
17
30
|
12-14
17-20
30-33
|
Vos réactions:
|